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Photo du rédacteurSophia

Digestion d'un trauma

Transit à travers le corps.

On peut compter généralement 24h pour complètement digérer un aliment à partir du moment qu’on l’ingère jusqu’au moment où on évacue ce que le corps ne souhaite pas garder.

Femme triste

Je ne crois pas qu’il existe des évidences scientifiques en lien avec le temps de digestion d’une expérience traumatique. Celui-ci dépend d’une multitude de facteurs.


Par contre, de mon point de vue, les étapes se ressemblent.





Mâcher.

Contrairement aux aliments qu’on choisit de mettre dans sa bouche, un trauma, on ne le choisit pas.


Celui que j’ai vécu il y a 2 ans, on me l’a profondément enfoncé dans la gorge. Je n’ai pas eu le temps de le mâcher et il a été très difficile à faire descendre.


J’ai refusé longtemps d’admettre que je venais de vivre une agression sexuelle et que j’en étais gravement impactée.


C’était comme une grosse pilule qui était coincée dans ma gorge. Je voulais à la fois qu’elle ressorte et qu’elle soit déjà passée.


J’avais envie de vomir, ma gorge brûlait. Mais rien ne sortait et je ne pouvais rien avaler non plus. Il y avait obstruction.


Ce malaise a duré quelques temps, quelques mois, où la seule chose que je pouvais faire c’était l’ignorer et essayer de continuer de vivre ma vie.


J’y suis arrivée. L’inconfort était devenu si familier que je ne m’en apercevais plus. Mais je faiblissais à vue d’œil parce que je ne me nourrissais presque plus. Je ne pleurais pas non plus. Tout était figé.



Avaler.
Femme en crise, qui crie

Et puis, il y a eu le dégel, le moment où la « pilule » a fini par fondre, se dissoudre et se rendre à mon estomac.


C’était un soulagement, j’avais la gorge libre et j’ai commencé à pleurer, à crier, et à manger tout ce qui faisait du bien sur le moment.


C’est aussi le moment où l’information s’est répandue dans chacune de mes cellules.


Mon estomac n’a pas su gérer cette nouvelle information : J’avais subi une agression sexuelle et j’étais en choc post traumatique.


Pendant quelques mois, ça été le festival de l’indigestion dans mon corps. Je vomissais, j’étais régulièrement en diarrhée et les larmes coulaient quotidiennement sur mon visage. Ça n’allait pas du tout.


Émotionnellement, j’avais le cœur qui saignait. J’avais mal dans ma tête, dans ma poitrine, dans mes tripes. Tout mon corps était impacté des conséquences de cet événement.


Donc, en gros, ce qui était too much a trouvé le moyen de ressortir, d’une manière ou d’une autre. Et dans mon cas, c’était plutôt violent !


Di-Gestion...
Femme désespérée

Ensuite, tranquillement, ce que j’avais besoin de digérer a continué son chemin dans mes intestins. Une autre étape commençait. C’était une tout autre sensation.


Cette première phase de la « di-gestion » intestinale était très floue. Il y avait comme un inconfort de fond qui était constamment présent.


C’était comme si mon corps était en train de trier les éléments qui allaient me servir à me transformer et ceux qu’il n’était pas sûr de vouloir garder.


Ce qui m’a été utile à ce point a été de parler.


Parce que si on décortique le mot digestion, le « dit » se trouve avant le « gestion ». Ce qui implique que la digestion passe avant tout par la parole.


Il m’aura fallu (et il m’en faut encore) des heures de thérapie individuelle et de groupe pour apprendre à gérer ce trauma, une étape à la fois.


Le temps.

La deuxième phase, qui est sans doute la plus longue de toutes, est celle qu’on appelle le passage dans le gros intestin.


C’est à ce moment que le facteur « temps » allait commencer son œuvre. Je dis ça parce qu’en réalité, peu importait l’énergie que je pouvais consacrer à prendre soin de moi et à faire ce que je pouvais pour accélérer la guérison, il y avait le facteur temps sur lequel je n’avais absolument aucun contrôle.


Mon corps et tout mon être devaient s’armer de patience et quoi que j’aie pu faire, rien n’égalait le temps.


Le temps était nécessaire à cette digestion.


C’est à cet instant que j’ai abdiqué. Je me suis assise avec tout ce que ce trauma laissait comme conséquences dans ma vie.


J’avais le temps de les prendre une après l’autre, de les observer attentivement et de les traiter.


Avec de l’aide, j’ai dénoué doucement certains nœuds. J’ai accueilli certaines de mes réactions. J’ai lâché prise tranquillement sur l’envie que tout passe plus vite et j’ai enfin accepter de ralentir. Dans mon rythme de vie, dans mes projets personnels et professionnels, avec mes enfants.


J’ai commencé à me reconnecter à mon corps un pas à la fois. J’ai priorisé de me faire du bien, de calmer mon système nerveux.


À ce stade, je n’avais d’autre choix. Le transit du trauma dans mes tripes avait atteint un point d’intensité que je n’avais pas encore connu jusqu’ici.


Des vagues de conséquence ...

Femme découragée, intériorisée, en deuil, honte

Les conséquences arrivaient par vagues, de façon presque régulière. Il m’a fallu être ébranlée à plusieurs reprises pour abdiquer et accepter de me laisser submergée temporairement par elles. Ces vagues finissaient toujours par passer. Et moi, je retrouvais chaque fois un peu plus de contrôle sur l’impact qu’elles me laissaient.


Une de ces vagues était la honte...


Mon corps transpirait la honte accumulée dans les 2 dernières années.


La honte d’être retournée le voir, même quand tout me disait de ne pas le faire. La honte d’avoir été manipulée. La honte d’avoir ressenti du plaisir. La honte de ne pas avoir su partir à temps...


Ces émotions, je les ressentais dans chaque nausée, dans les maux de ventre, dans le bas de mon dos, dans les spasmes réguliers. Même mon utérus me les faisait ressentir.


Dans toutes les cellules de mon corps, je le sentais bien, j’étais en train de me laisser traverser par ce trauma.


J’étais épuisée. Constamment. Pourtant l’anxiété et l’insomnie continuaient de me gruger de l’intérieur. Le processus était en cours. Je devais continuer d’avancer.


Et il y avait des matins où je me réveillais en sueur, où tout mon corps était en douleur, où ma tête aurait voulu rester déconnectée du monde encore un peu.


J’ai donc fait de la place dans ma vie pour me permettre de digérer ce trauma entièrement. J’ai annulé des engagements, des rendez-vous, j’ai mis de côté certaines relations temporairement. Beaucoup de choses sont passées au second plan. Et c’est très bien ainsi. J’étais dans une grande mission. Celle de me retrouver.


Ce trauma m’habitait jour et nuit. J’étais en train de le vivre. Le fer était bien chaud, il fallait le battre, comme on dit. Ce n’était pas le temps de nier, de fuir, ni de m’étourdir.


J’étais déterminée à rencontrer la femme qui m’attendait de l’autre côté. Et j’avais hâte !


Purger.

rituel plume sauge

Et puis, viendra le temps où mon corps sera entièrement prêt, dans un moment de détente, de relâcher peu à peu ce trauma sexuel. Il n’en restera qu’une empreinte détachée de mon corps. Je serai libérée du poids des conséquences.


Je serai, à ce moment, imprégnée d’une nouvelle vibration. M’être laissée traverser par ce trauma laissera naître une toute nouvelle version de moi. Une version grandie, ancrée et puissante.


Une chose est certaine, je n’oublierai jamais. Comme on n’oublie pas une grosse intoxication alimentaire, même des années après. Mais je ne la ressentirai plus comme je la ressens aujourd’hui.


J’écris ces mots en étant encore loin de ce moment, mais je suis en train d’écrire mon avenir. Pour moi, ça reste avant tout un choix. Et je choisis que ce trauma ne soit qu’un passage dans ma vie, parmi d’autres.


Il me faut continuer d’aller vers l’avant.


Je me le dois.


Parce que ce n’était pas de ma faute.

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